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Les abeilles et le temps par Albert Moukheiber

Les abeilles et le temps par Albert Moukheiber

29/03/2023

Une des histoires les plus fascinantes en science est celle qui explique comment nous avons découvert que les abeilles avaient une sorte d’horloge interne qui leur permettaient de sentir le temps s’écouler. Ce récit m’a été rappelé par Tom Lum un chercheur qui travaille sur la perception du temps.

En 1929, Beling Ingebord et ses collègues chercheurs allemands décident qu’ils veulent savoir si les abeilles sont capables de détecter le passage du temps. La première expérience était assez simple : les chercheurs mettaient de l’eau sucrée chaque jour devant la ruche à 16h pile pendant plusieurs jours et, au bout d’un moment, ils ont remarqué que les abeilles sortaient de la ruche chaque jour à 16h même sans la présence de l’eau sucrée. Cela poussa les chercheurs à conclure que les abeilles avaient une horloge interne. Mais, peut être aussi que ce n’était pas le cas ? Peut-être que les abeilles sortaient en s’orientant par rapport à la position du soleil dans le ciel par exemple.

Du coup, ils refirent l’expérience mais cette fois-ci dans le noir. Et, les abeilles sortirent quand même à 16h ! Cela devait sûrement indiquer que les abeilles mesuraient le temps. Pas si vite ! Peut être que les abeilles ressentaient les différences de chaleur au cours de la journée par exemple.

Voulant être vraiment exhaustifs sur cette question, en 1932, une autre équipe menée par un certain Wahl O. et ses collègues décident de refaire l’expérience sous terre dans une mine de sel pour en avoir le cœur net. Pas de lumière, pas de chaleur, rien. Mais, là aussi, les abeilles sortirent à 16h ! Du coup, les chercheurs en ont déduit qu’on pouvait être certains que les abeilles perçoivent le passage du temps. Mais, des sceptiques ont continué à pousser le bouchon, peut-être que les abeilles étaient entrain de mesurer la rotation de la terre ou un champ magnétique ou que sais-je ? Comment peut-on être sûrs que les abeilles mesurent le temps ?

Et c’est là qu’arrive Max Renner de l’institut universitaire de zoologie à Munich en Allemagne en 1960. Renner décide d’entrainer les abeilles à sortir à 16h à Paris, puis, il emporta la ruche en avion à New York et remarqua que les abeilles sortaient à 10h du matin. Les abeilles étaient « jet laggées » !

Et c’est comme ça qu’on découvrit enfin que les abeilles pouvaient mesurer le passage du temps.

J’ai voulu décrire ces expériences car récemment, un récit s’est installé autour de la science, la décrivant comme quelque chose de froid, sec, méthodique, sans émotions. Le scientifique est décrit comme une personne sans poésie, un technocrate avec ses outils. Avec cette petite histoire de comment nous avons acquis une connaissance en utilisant la méthode scientifique, j’ai voulu réenchanter la vision actuelle que nous avons de cette méthode car ces expériences révèlent son essence propre : la curiosité, l’inventivité, la fascination face au monde naturel !

Il faut être complètement épris par les abeilles pour louer une mine ou les emmener en avion de l’autre côté de l’Atlantique ! La science n’a rien de froid, on pourrait même dire que le scientifique est comme un poète. Tout les deux effectuent un travail quasi-artisanal de répétitiond’évidences : les scientifiques vont passer un temps fou pour expliquer la gravité alors que nous avons tous un sentiment intuitif de comment la gravité fonctionne. Si je jette quelque chose en l’air, il va retomber. De la même manière, avons-nous vraiment besoin de poètes pour nous décrire ce qu’est l’Amour ou de mettre en mots les émotions qu’on ressent devant la beauté de la nature ? Pas vraiment.

Ce que le poète et le scientifique tentent de faire, c’est de décrire le monde naturel qui nous entoure et dont nous faisons partie, d’une manière tellement absolue qu’elle ne peut être niée. Cela permettrait au chercheur et au poète d’entrer dans les livres d’histoires pour ces révélations.

Mais, la plus belle ironie dans tout ça, c’est qu’au final, ce n’est ni le poète ni le scientifique qui sortent « gagnants » de ce travail mais la nature elle-même.

Albert Moukheiber, Docteur en neuroscience, psychologue clinicien, fondateur de Chiasma. 

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